Saturday, June 11, 2011

La trille de Rosalie

Nous sommes au printemps 2007.

Je viens à peine de déménager. Les ustensiles de cuisine sont sortis des boîtes, mais rien d'autre.

J'apprivoise mon jardin d'ombre et regarde tout ce que les anciens propriétaires y ont planté.

Et j'aperçois, ravie:


Une trille (trillium erectum).  Une de mes fleurs préférées et un clin d'oeil à mon exil forcé en Ontario.  Le fait qu'elle soit rhizomatique me plait encore plus, ce que ceux d'entre vous qui connaissent mon passé littéraire comptendront immédiatement.

Pour les autres, je vous suggère la lecture d'Édouard Glissant -Tout-Monde ou Poétique de la Relation, pour commencer.

Un peu d'histoire



Tout a débuté quand j'étais au Cégep.

J'avais la chance de gagner tout l'argent de poche dont j'avais besoin en gardant des enfants après l'école et les week-ends. 

Unedes familles chez qui je gardais souvent était celle d'une magnifique Charlotte aux yeux de myosotis.  Ses parents étaient très sympathiques et me faisaient confiance, allant même jusqu'à me laisser Charlotte pendant quelques jours alors qu'ils étaient en voyage. 

Charlotte avait une petite voisine, Alexandra, un peu plus jeune qu'elle.  Elle était toute menue, délicate, tout comme ses parents qui étaient tous les deux bien plus petits que moi et minces comme des roseaux.  On se parlait dans la cour, et je voyais le menu ventre de la maman s'arrondir peu à peu.  Peu de temps après que leur fille ne soit né, je suis allé leur rendre visite avec Charlotte qui voulait voir le bébé. C'était la première fois que je suis rentrée chez eux.


C'était magique.

La maison était à leur image: pas très grande, chaleureuse, reposante.  Accueillante, malgré les roses fluo et verts limes de sa décoration.   L'ado que j'étais n'aurait jamais décrit les choses ainsi, mais voilà: la maison avait une âme.  J'y ai souvent pensé, en ai parlé plusieurs fois, ai même écrit une nouvelle qui y prend vie.  À la demande de leur parents, j'ai commencé à gardé Alexandra et sa nouvelle soeur Rosalie, et adorait retourner dans cette maison si calme et enveloppante.

Quinze ans après, je décide d'acheter un logement.  Après avoir penser à acheter l'appartement où j'habitais, je me suis plutôt décidée à trouver un petit condo au Plateau ou dans le Mile-ned.  Un collègue m'a suggéré un agent d'immeuble qui s'est avéré être un faiseur de miracle.  Je lui ai décrit le condo que je recherchais -éclairé, central, avec un grand balcon-  avant de lui dire, en souriant, "à moins, bien sûr, que tu ne trouves ma petite maison de rêve dans le plateau, à deux étages, avec un mur de brique et un jardin". La conversation est tout de suite revenu aux caractéristiques essentielles ou désirées du condominium.

Le lendemain, dans ma boite de courriel, se trouvait trois descriptions MLS de condos.  Et deux de cottages sur le Plateau.  J'ai à peine parcouru le second de ceux-là que je l'ai envoyé à mon amie Mélanie, qui a elle aussi gardé Alexandra et Rosalie lorsque nous étions au CEGEP.

"Pourquoi tu m'envoies des photos de la maison de Rosalie?", m'-a-t-elle demandé.

Même mur de brique.
Même jardin.
Même âme.
(même roses et verts, mais ça s'arrange).

Le sort était jeté.